Alternatives Economiques - Agents Liquides
Igor Martinache
Alternatives Economiques n° 314 - juin 2012
Le monde change, " il faut s'adapter " semble être le credo de notre époque. Mais tous ne l'entendent pas de cette oreille. Et les vrais inconscients ne sont pas ceux qu'on croit.
Il est décidément des gens qui ne veulent rien comprendre à la modernité. Prenez tous ces ouvriers qui osent contester quand leurs usines ferment, plutôt que d'aller docilement pointer à Pôle emploi. Comme ceux de Legré-Mante à Marseille, seule unité de production d'acide tartrique en France.
Les temps modernes
Fin 2009, ils ont occupé leur usine cent quarante jours durant, sous l'objectif de Jean-François Priester et Christine Thepenier.
Dans leur film, pas d'actions coup-de-poing comme les affectionnent les médias, mais des travailleurs qui témoignent de leurs conditions de travail dans leur usine délabrée, entre deux réunions pour préparer sur le fond le procès d'une liquidation qu'ils jugent injustifiée. Cela ne suffira pas à convaincre un tribunal de commerce peu habitué à de tels requérants.
Mais le vrai paradoxe s'incarne en fait ailleurs : dans la résignation du plus grand nombre. Non seulement face à la fermeture, mais aussi face à la dégradation des conditions de travail qui l'a précédée. L'intérêt du film réside dans le récit lucide que les principaux intéressés livrent de cette évolution, des stratégies de leur patron pour les diviser, en jouant sur les primes individuelles ou les différences de statut.
Le recours à l'intérim était ainsi permanent : tandis que l'un est resté employé sous ce statut dix-neuf ans durant, les plus jeunes se voyaient confier les tâches les plus risquées. Et quand l'accident survenait, ils étaient simplement renvoyés chez eux. Seuls de tels événements permettaient de faire réagir un employeur sourd aux interpellations.
Pourquoi alors ne pas avoir élevé la voix plus tôt ? "La peur de perdre notre emploi ", confesse un ex-salarié, qui évoque aussi la responsabilité intériorisée pour faire en sorte que l'usine tourne coûte que coûte.
L'âme du vin
Au fait, saviez-vous que l'acide tartrique est l'un des principaux composants du vin ? C'est aussi parmi les producteurs de ce breuvage particulier que l'on trouve d'autres " hurluberlus " refusant de s'adapter à la modernité : les adeptes de la biodynamie. Une véritable philosophie de l'agriculture, qui consiste à l'envisager dans les cycles plus larges de la nature, en tenant compte des autres vies, végétales comme animales.
Plusieurs de ces vignerons détaillent ainsi ces principes devant la caméra de Guillaume Bodin, non sans pointer du doigt, au passage, certaines absurdités de la législation encadrant l'usage des produits phytosanitaires.
A voir ces vignerons préparer patiemment leurs décoctions à base de bouses, pour les épandre ensuite sur leurs vignes, on est tenté de les prendre pour de gentils fous. Mais à la réflexion, la vraie folie ne serait-elle pas plutôt du côté de l'obsession productiviste qui détruit la terre et les hommes ?
Disparaissez les ouvriers !
par Christine Thepenier et Jean-François Priester
En salles depuis le 9 mai.
La clef des terroirs
par Guillaume Bodin
Ed. Montparnasse, DVD, 15 euros.
Alternatives Economiques n° 314 - juin 2012