Insecticide mon amour : une bombe
Avec son dernier documentaire, le rochois Guillaume Bodin jette un pavé dans la mare aux insecticides. Il y dénonce leur dangerosité et leur emploi obligatoire dans la vigne pour lutter contre la flavescence dorée.
Par Sylvie Bollard dans Les Écos des Pays de Savoie
Le tracteur roule lentement entre les rangs de vigne. Derrière lui, un nuage aqueux se pose sur les ceps. Mais pas seulement. La petite brise, bien perceptible ce jour-là, emmène également les vaporisations vers l’habitation toute proche. Entourée de vignes, la maison ne passera pas à travers les gouttes du traitement aux insecticides. Plus loin, la cour de l’école, où jouent les enfants, jouxte une parcelle à arroser... Le soleil est radieux. Les oiseaux chantent. Plus pour longtemps ? C’est l’avis du Dr Jean-Marc Bonmatin, chercheur au CNRS d’Orléans, qui, interrogé par le réalisateur rochois Guillaume Bodin dans son dernier documentaire intitulé Insecticide mon amour, tire la sonnette d’alarme : les produits utilisés aujourd’hui pour lutter contre la flavescence dorée sont 5 000 à 10 000 fois plus toxiques que le DDT, pourtant interdit en France depuis 1971. Ils tuent certes la cicadelle de la flavescence dorée (l’insecte vecteur de la maladie), mais ils détruisent aussi les autres insectes et provoquent des effets en cascade sur les invertébrés du sol (vers de terre, acariens...) et sur les oiseaux qui les gobent. Et sur les humains ? Mystère.
Guillaume Bodin, ouvrier viticole depuis une dizaine d’années et cinéaste talentueux, a voulu en savoir plus. Son film, sorti le 8 avril sur internet (*), est d’abord un cri du cœur. Et du corps. Employé dans les vignes du sud du Mâconnais en 2013, il prend l’obligation préfectorale de traiter le vignoble de Saône-et-Loire et de Côte-d’Or comme un coup-de-poing dans ses convictions personnelles. Au malaise intellectuel s’ajoutent vite, dès le début des épandages, des symptômes physiques tels que des saignements de nez et des migraines. Il quitte alors son travail pour arpenter, caméra sur l’épaule, les coteaux et les bureaux des décideurs. Les images des premiers sont aussi belles que saisissantes, celles des seconds brillent par leur absence : ni le préfet de Saône-et-Loire, ni le responsable de la DRAAF de Bourgogne, ni Jacques Grosman, expert auprès du ministère de l’Agriculture, n’ont accepté de parler face caméra. Il faut dire que dans les caveaux, l’arrêté préfectoral prit par précaution alors qu’un seul foyer de la maladie avait été détecté dans le nord du Mâconnais, est plutôt mal vécu. Quelques puissants vignerons écrivent au préfet pour déclarer qu’ils ne traiteront pas. D’autres achètent les produits, contraints et forcés, mais ne les appliquent pas. Emmanuel Giboulot, vigneron en bio, part quant à lui en guerre contre le principe de la systématisation. Son cas émeut la France entière : il est condamné pour n’avoir pas traité, puis finalement relaxé le 6 décembre 2014.
«Mon film relève d’abord d’une démarche militante, reconnaît Guillaume Bodin. Les décisions politiques concernant les traitements de 2015 vont être prises dans les semaines à venir. Les vignerons et les associations qui ont besoin d’un support pour faire valoir une autre vision des choses pourront désormais s’appuyer sur Insecticide mon amour.» Avant la sortie du DVD en octobre, le jeune Rochois espère aussi avoir l’occasion de présenter son travail dans les salles de cinéma qui voudront bien l’accueillir.
Le sujet ne laisse en tout cas pas indifférent puisqu’en trois jours, la bande- annonce avait déjà été vue 110 000 fois. Il faut dire que ce problème ne touche pas seulement le Mâconnais : neuf régions viticoles françaises sont concernées de l’Aquitaine au Languedoc- Roussillon en passant par la Corse ou Midi-Pyrénées.
(*) Insecticide mon amour est visible sur la plateforme Montparnasse VOD : www.montparnassevod.fr/movie/insecticide-mon-amour
47 Communes touchées en Savoie
Le vin de Savoie n’est pas épargné par la maladie et par les traitements obligatoires. En 2014, 47 communes des secteurs “vins de Savoie”, “Combe de Savoie” et “cluse de Chambéry”, ont dû appliquer deux traitements.
En savoir plus sur ce magasine
Mots-clés: film documentaire, insecticide mon amour, pesticide mon amour, presse, 2015, eco des pays de savoie, sylvie bollard