Quand tu plantes de la vigne bio... Tu récoltes des prunes..
Vignerons bio contre insecticides
Un vigneron bourguignon est en procès parce qu'il refuse d'utiliser des insecticides. Égoïste et inconscient pour les uns, icône de la résistance antichimique pour les autres, son combat pointe le doigt sur l'utilisation systématique d'insecticides.
On est pour le vin, et on est pour le bio. Donc, a priori, on est forcément pour le vin bio. Thibault Liger-Belair est un viticulteur bio du sud du Mâconnais, et il est actuellement sous le coup d'une procédure judiciaire parce qu'il a refusé d'arroser ses vignes d'insecticides[1]. Contraindre un vigneron bio à utiliser des produits chimiques, c'est quand même un comble.
Tout part d'une maladie de la vigne, la flavescence dorée, due à une bactérie présente dans le cep. Il n'existe aucun traitement, et tout pied affecté est voué à l'arrachage. Mais le pire est son caractère contagieux : la faute à la cicadelle, un insecte qui suce la sève des pieds malades, et transmet ainsi la maladie à toute la vigne. Si l'on ne fait rien, la surface contaminée est multiplié par 10 chaque année, si bien que la flavescence dorée était initialement localisée dans le Sud-Est, et qu'on peut aujourd'hui la trouver, à des degrés divers, sur la moitié du vignoble français. La maladie est donc extrêmement dangereuse pour le nectar des dieux, et c'est pourquoi la lutte à l'insecticide est obligatoire (des méthodes biologiques ont été tentées, en introduisant une guêpe prédatrice de la cicadelle, mais sans succès pour l'instant). Les plus pessimistes vont jusqu'à comparer la flavescence au phylloxéra, qui a détruit une grande partie du vignoble européen à la fin du XIXème siècle.
La fronde des viticulteurs bio
Dans un contexte aussi inquiétant, comment des viticulteurs peuvent-ils refuser de coopérer ? Sont-ils inconscients, ou bien héroïques ? Avant Thibault Liger Belair, il y eut Emmanuel Giboulot. Ce viticulteur, bourguignon lui aussi, a été condamné en première instance pour refus de traitement par insecticide, avant d'être relaxé en appel en 2014, pour vice de forme. Thibault Liger-Belair reprend aujourd'hui le flambeau. En vérité, il aurait pu facilement tricher : il suffit de montrer une facture d'achat d'insecticide aux inspecteurs pour qu'ils vous fichent la paix, nul besoin d'avoir réellement traité ses vignes avec. Toutefois, pas question de se défausser pour le vigneron rebelle, car c'est au contraire l'occasion de dénoncer le chimique à tout-va : « On impose un traitement dès qu'il y a le moindre problème. Il n'y a pas de dialogue, c'est une utilisation exagérée du principe de précaution. » Seulement, les arguments du camp adverse ne sont pas complètement stupides, à entendre François Roze, directeur de la chambre régionale d'agriculture de Bourgogne : « La flavescence dorée peut se déclarer sur un pied de vigne contaminé depuis quatre cinq ans sans qu'on le voit avant, et celui qui ne traite pas fait prendre un risque aux autres viticulteurs. » À ses confrères vignerons qui lui reprochent d'être inconscient des risques qu'il fait courir, Thibault Liger-Belair rétorque qu'eux même « sont aussi inconscients des dangers des insecticides ». Il est vrai que ces derniers ne flinguent pas seulement la cicadelle, mais aussi toutes les bestioles, de la microfaune du sol aux abeilles, qui font de la vie de la vigne un organisme vivant. Après leur passage, le terroir est vitrifié.
En fait, il faudrait pouvoir comparer sereinement les risques et les bénéfices des insecticides. D'un côté, il y a le risque – bien réel – la flavescence fait courir aux vignobles. Mais de l'autres, qu'en est-il des dangers des insecticides pour l'environnement (et pour les viticulteurs eux-mêmes) ? Même plus grave que polluer les sols et le vin ? Pour Thibault Liger-Belair, cette logique du traitement systématique fait penser à « un nouveau-né qu'on enfermait dans une chambre hermétique : quand il sort, il va attraper toutes sortes de maladies parce que son organisme n'aura pas appris à se défendre. De la même façon, si on met la vigne dans un cocon, elle n'apprend pas à se défendre ».
La fronde des viticulteurs bio a au moins le mérite de questionner le bien-fondé de la solution chimique systématique. Même si les insecticides sont parfois utiles – et ils le sont certainement pour la flavescence –, il faut cesser de croire que le seul moyen de protéger les cultures consiste à les arroser de pesticides[2].
Antonio Fischetti
[1] Son procès aurait dû se dérouler le 19 mai, mais il a été reporté en novembre.
[2] Pour en savoir plus, voir le film Insecticide Mon Amour de Guillaume Bodin (insecticidemonamour.com)
Mots-clés: bio, pesticide, insecticide mon amour, insecticide, thibault liger belair, presse, 2015, vigneron, juin, charlie hebdo, antonio fischetti