«C’est peut-être mon côté militant» - Portrait Pro Natura
Guillaume Bodin, ouvrier agricole en Bourgogne, dénonce dans un film documentaire sans concession – « Insecticide mon amour » – l’impact dévastateur des pesticides sur l’environnement, mais aussi sur la santé humaine.
« Moi qui croyais que l’on pouvait produire du vin en parfaite harmonie avec la nature, je devais être un peu naïf. » Naïf certainement pas, tout au plus idéaliste. Ouvrier viticole en Saône-et-Loire en Bourgogne (France), Guillaume Bodin a choisi de quitter l’emploi qu’il occupait sur un domaine réputé pour prendre la caméra et essayer de comprendre. Comprendre d’abord les ressorts de certaines décisions administratives qui obligent l’épandage à grande échelle de produits chimiques pour lutter contre une maladie de la vigne, la flavescence dorée, véhiculée par un insecte, la cicadelle. Comprendre aussi l’impact des produits chimiques sur la santé humaine et l’environnement.
Intérêt pour la biodynamie
Né en Haute-Savoie, pays de montagne par excellence, Guillaume a toujours développé une relation proche de la nature. Il aurait pu devenir alpiniste d’ailleurs, lui qui a gravi les sommets un par un depuis son plus jeune âge.
Mais c’est vers un autre domaine de la nature qu’il se tourne après un stage d’œnologie dans les célèbres vignobles de Nuits-Saint-Georges. Il s’oriente vers des études de viticulture et d’œnologie, il découvre en parallèle la biodynamie et s’enthousiasme pour les écrits de Rudolf Steiner.
Il découvre aussi très vite que les principes de la biodynamie et l’intérêt pour une viticulture proche de la nature trouvent peu d'écho en France. « Au lycée agricole, le sujet est abordé durant une semaine au cours des deux années d’étude, c’est incompréhensible.»
Incompréhension encore. C’est ce qu’il ressent en 2013 face à certaines décisions politiques qui obligent les viticulteurs de tout un département à traiter sans discernement leurs vignes aux pesticides. « Les symptômes inquiétants dont j’ai soufferts, saignements de nez à répétition et maux de tête violents, m’ont décidé à prendre la caméra pour percer à jour des pratiques inadmissibles qui détruisent une de nos plus précieuses ressources, le sol », poursuit Guillaume Bodin. S’essayer à la réalisation et la production d’un film n’est pas une fin en soi, même si la photographie et l’image sont une autre de ses passions. Mais c’est un bon vecteur pour informer, d’autant plus qu’il éprouve des difficultés à se faire entendre et à faire prendre conscience aux viticulteurs d’une part et au grand public d’autre part des enjeux qui se cachent derrière de telles pratiques.
Dénoncer et informer
Grâce à une bourse et à quelques économies, doté d’une détermination solide et d’un talent certain d’enquêteur, le jeune réalisateur part à la rencontre de nombreux acteurs du milieu viticole. « Je n’avais pas d’autre certitude que celle de dénoncer certaines pratiques et d’informer. C’est peut-être mon côté militant, moi qui n’ai aucun penchant pour la chose politique », souligne-t-il.
Il rencontre alors un vigneron bio ayant refusé de se plier à l’arrêté préfectoral d’épandage, refus pour lequel il a été poursuivi en justice puis relaxé en décembre 2014. Son chemin croise aussi celui d’un chercheur au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) qui confirme les effets catastrophiques de l’utilisation de ce type de pesticides sur l’environnement. « Savoir que les nouvelles molécules comme les néonicotinoïdes sont 5 000 à 10 000 fois plus toxiques pour les abeilles que le tristement célèbre DDT ne devrait laisser personne indifférent. »
Mais c’est certainement sa rencontre avec une microbiologiste des sols qui le marque le plus, lui qui voue une véritable fascination pour tout ce petit monde qui grouille là, juste sous nos pieds; lui qui, plus que tout autre, connaît la valeur que constitue cette ressource indispensable. « L’attitude qui consiste à traiter le sol comme simple support des activités humaines m’exaspère. L’utilisation des insecticides détruit toute forme de vie, cette vie qui justement crée une porosité, oxygène le sol et contribue à la formation de l’humus », poursuit notre spécialiste du sol en devenir.
Retour aux sources
Mais alors, que faire ? Quoi dire ? A qui s’en prendre? C’est pour tenter de répondre à toutes ces questions que Guillaume a réalisé son film documentaire. Depuis le tournage du film, débuté en 2013 et qui sort en salle prochainement, la situation a évolué. Guillaume sait que moins de secteurs ont été traités en Bourgogne en 2014 : au lieu de trois traitements, il n’y en a eu « que » deux et des contrôles ont été effectués. Plus réjouissant encore, un collectif de vignerons contre la flavescence dorée, créé depuis lors, bataille pour faire évoluer le dossier vers un plus grand respect de l’environnement. « C’est un début, mais tant que l’on trouvera des résidus de pesticides au sommet du Mont-Blanc, je continuerai à me battre », conclut Guillaume.
Florence KUPFERSCHMID-ENDERLIN, rédactrice romande du Magazine Pro Natura - Photo de Catherine LEUTENEGGER
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